Des nouvelles du Celsa

Publié le par Guillaume Woerner

 

 

 

- Chronique -

Des nouvells du Celsa

 

Recueil de nouvelles aux Editions Kyklos

 

 

9782918406211

 

Grande école rattachée à l'université Paris-Sorbonne (Paris IV), le CELS A dis p ense de s formations de haut niveau en journalisme, communication, marketing, publicité, médias et ressources humaines.

Le recueil Des nouvelles du Celsa constitue un échantillon des meilleures nouvelles rédigées par les étudiants et sélectionnées par un jury de professeurs. Initiative originale, ces sept nouvelles sont à présent publiées aux Editions Kyklos. Je les remercie en passant de m’avoir fait parvenir ce beau recueil : la lecture est rendue confortable par une police large et des paragraphes aérés et surtout, quel plaisir de manipuler ce beau papier qui donne un aspect luxueux au produit fini. Dommage que la couverture soit si dépouillée.

Ouvrons ce bel ouvrage pour découvrir ce que nous proposent les sept auteures. Oui, il n’y a que des filles !

 

 

 

Pelure d’Oignons (Par Sophie Dupin de Saint Cyr)

 

Pelure d’Oignons, le lapin le plus mignon du monde, fait le bonheur de son clochard de maître. C’est même son gagne pain dans ce Paris arpenté par des truands.

Si vous cherchez du misérabilisme contemporain, passez votre chemin ! Ici, ça bouge !

Mâtin ! Quelle plume ! C’est enlevé, dynamique, pétillant ! Avec en prime, une expression digne de Fred Vargas (c’est un compliment ;)) : « faire pancarte » !  

Cependant, défaut il y a : la dernière partie, avec l’épicier arabe, est en trop. Elle ne fait que reprendre la recette des rebondissements précédents. Le récit s’essouffle. D’autant que c’est dommage, car il me semblait que la scène où les deux sœurs se retrouvent sous le pont avec le clochard pouvait faire office de fin.

 

 

Salaud de Deacon, pauvre Bridget (Par Laurence Gardella)

 

Dans les hauts de l’île de la Réunion, les femmes se tournent volontiers vers Saint Expédit, qui a la faculté d’exaucer leurs prières pour le meilleur… mais aussi pour le pire. Car qui peut deviner les desseins d’une entité séculaire ?

De toute évidence, ce ne sera pas le lecteur. Saint Expédit, en répondant aux prières des femmes, change la société en profondeur. Mais on ne voit pas quelle est la finalité de tout ça. Le texte dénonce t-il les malheurs de la femme réunionnaise ? Ou au contraire vise-t-il à souligner qu’en demandant, on n’obtient pas forcément ce qu’on veut ? Ou encore qu’un génie peut se piéger lui-même ? Bref, le fameux contrat avec le lecteur dont parle Orson Scott Card n’est pas limpide. Le lecteur peut se consoler avec les scènes de la vie quotidienne à la Réunion et quelques mots de créole.

 

 

Espoir et Spire (Par Justine Richard)

 

Scènes de vie de la famille Brest, modestes cultivateurs de choux de la vallée du Roundwihr. Voila la quadrature du cercle : d’un côté, Père Brest, maman Brest et leur rejeton, symboles d’immobilismes. De l’autre, Lou la pétillante adolescente qui étouffe dans cette vallée. L’originalité du récit, c’est ce découpage en cours chapitres, Cercle du village, cercle de Lou… Une impression de zoom bien rendue, avec des descriptions qui parviennent à traduire la sclérose de la famille Brest. Cependant je regrette une certaine facilité dans certains détails : une héroïne rebelle et rousse (quoi de plus banal), des paysans (je n’ose même pas employer le terme agriculteur) quasiment inhumains à force de répétition des mêmes gestes (j’allais dire qu’ils tournaient en rond !), et une fin inéluctable, qui ne laisse du coup aucune surprise. Une nouvelle sauvée par la  plume de l’auteur, habile à multiplier les habitudes et rituels d’un quotidien lénifiant.

 

 

Les silences de Minh (Par Sophie Peltier-Le Dinh)

 

Minh fuit le Viet Nam pour la France. Un pays où il lui faudra se reconstruire au travers des évènements des années 60. Une fresque mélancolique qui s’étale sur plusieurs dizaines d’années. La narration est douce, toute en nuance, en phase avec Minh, personnage effacé mais qui pourtant parvient à mener sa barque. Une nouvelle optimiste où on voit que rien n’est irréversible. 

 

 

L’éclipse (Par Marianne Barrett)

 

Un thème difficile, celui de la perte de l’être aimé, et du trou noir qui s’en suit.

Paradoxalement, j’ai trouvé que les pages décrivant le décès et le manque affectif étaient plutôt fades. On retrouve un bouillonnement d’émotions qui finalement sonne déjà entendu. Comme quoi, mes lectures et/ou films m’ont probablement saturé de scènes dramatiques ! La nouvelle prend son envol après les pages blanches marquant l’écoulement des mois. La remontée de l’enfer est bien dosée et touchante. Renouer les liens avec les choses du quotidien, les amis, le travail… D’autant plus que je connais plusieurs des lieux évoqués et j’ai parfaitement visualisé les scènes (RER B, son terminus…). Dommage que l’homme bouée de sauvetage soit si mystérieux. Une solution de facilité qui permet cependant de maintenir Sophie sous la lumière, elle qui en a tant besoinJ.

 

 

Pomme de Discorde (Par Clara Melot)

 

Vincent, qui tient un stand de tire dans une fête foraine, croyait avoir laissé son ancienne vie dans les brumes du passé. Mais le regard inquisiteur d’une petite fille l’oblige à faire face aux démons qui le hantent.

Cette nouvelle, superbement écrite, est peut être ma plus grande déception. L’écriture est magnifique, les mots s’écoulent, la fête foraine prend vie, avec ses cornets de frites, le boche et ses chevaux de bois… Les pensées torturées de Vincent se déploient de manière presque palpable, grâce à une narration pour moitié à la première personne.

Et pourtant, déception car en trente pages, il n’y a pour ainsi dire qu’un seul et unique rebondissement (révélations sur la petite fille), pour aboutir une chute aussi improbable qu’en complet déphasage avec le reste de l’histoire. Mais je ne doute pas qu’avec une telle maîtrise de la plume, le prochain essai ne manquera pas la cible.

 

 

Démon du jeu (Par Noémie Fachan)

 

Négligée par leur mère, Helga et Helmut se tournent vers les jeux vidéo pour trouver un sens à leur vie. Mais quand le jeu devient la vie, la vie devient un jeu.

Moderne, drôle et grinçant à la fois, cette nouvelle est mon coup de cœur de ce recueil. Une franche réussite, alors que l’auteur a pris plusieurs risques dans la forme : tchat entre deux personnages, configuration d’un personnage dans le jeu Another Life… Cette forme pourra rebuter les lecteurs les plus classiques, mais constitue selon moi une belle ouverture vers ce que pourrait être le roman de demain. Après tout, le tchat devient une forme de dialogue aussi établie que l’oral. Alors pourquoi ne pas le décliner dans l’écrit ? En tout cas, bravo pour ces personnages bien campés, et cette fin glaçante !

 

 

 

 

Conclusion

 

Sept auteures d'une vingtaine d'années, pour sept nouvelles qui présentent toutes un point commun : une finesse de plume redoutable. Vous l'aurez compris, je suis plus circonspect sur le scénario de plusieurs des nouvelles, mais nos sept jeunes filles ont déjà dans leur arsenal une écriture colorée, émouvante et dynamique. Espérons que la coopération du Celsa et de Kyklos se poursuive : quelle chance de pouvoir entrer dans le bain de l'édition si vite !

 

 

Publié dans Chroniques

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<br /> Quel plaisir de lire ce très encourageant commentaire... Voir son texte publié, figurer parmi un panel d'auteures prometteuses, c'est déjà quelque chose d'incroyable, mais de pareilles<br /> appréciations, ça dépasse tout ! Merci pour votre lecture, et à bientôt pour de nouveaux écrits !<br /> <br /> <br /> Noémie Fachan<br />
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