Le tribut d’Orme-Froid

Publié le par Guillaume Woerner

Le tribut d’Orme-Froid

 

Par Guillaume Woerner



Le temps n’avait cessé d’empirer depuis une semaine. La pluie avait cédé la place à la neige et, après une courte éclaircie, la tempête était survenue, glaçant tout sur son passage. Le soleil de Guiliane ne réussissait à passer l’épaisse couche de nuage que trop rarement au goût de la bande de mercenaires. Ils traversaient la toundra gelée d’Orme-Froid en direction de Rahaguen pour y passer les deux longs mois d’extrême-hiver durant lesquels vivre hors d’une ville relevait du suicide. Mais ils s’étaient laissés surprendre et étaient obligés de marcher sans interruption pour espérer atteindre sans dommage leur destination. Pour économiser leurs forces, ils dormaient à tour de rôle dans les traîneaux tirés par des chiens grisous, dont l’épais pelage les tenait à l’abri des froids les plus durs.

Le voyage était monotone mais les créatures du froid ne tarderait pas à sortir de leur hibernation pour vivre pleinement les jours du grand gèle polaire. Déjà, Bikol le Koami avaient aperçu plusieurs grands trolls en maraude et la troupe avait du faire un détour pour éviter une confrontation directe. Brangor, le chef de la petite troupe avait du mal à calmer ses dix hommes qui pestaient sans arrêt contre le manque de clairvoyance de leurs camarades et les phrases échangées étaient de plus en plus rares.

Seul Baeg, le viking du Grand Fjord ramenait un peu de gaieté en ne cessant de raconter ses déboires avec la baronne de Montfresain. Il répétait pour la troisième fois le passage du combat contre douze chevaliers de la baronnie qui voulait l’empêcher de goûter à la cave personnelle du Baron quand Brangor porta soudain son attention sur un mouvement quelques mètres plus avant.

Ce n’était que Bikol qui revenait faire part de ses observations à la troupe.

__ Ca ne va pas, Brangor. La tempête redouble d’intensité et le vent la pousse  dans notre direction. Continuer ainsi révèle du suicide pur et simple. Même les Koamis refuseraient de continuer dans cette purée de pois.

Brangor était toujours sidéré par l’habileté de son éclaireur à retrouver son chemin même au milieu des éléments déchaînés. Bikol venait de la terre des glaces éternelles et il avait grandi au milieu des rafales de neige et des extrêmes-hiver de six mois. Brangor avait toute confiance en ses jugements sur la météo malgré les airs peu avenants du Koami : il était petit, 1m50 ce qui était une taille normale pour sa race, et ses dents petites et aiguës étaient promptes à sourire de la souffrance d'autrui.

Il s’arrêta et se retourna vers ses compagnons.

__ Nous devons nous mettre à l’abri. Les grands froids arrivent sur nous.

Des jurons et des prières aux dieux s’élevèrent. Naelok, le râblé, s’avança :

__ Tu nous as conduits vers Rahaguen. C’est toi qui as décidé de passer l’extrême-hiver là-bas. Mais tu n’as pas su monter l’expédition correctement et nous voilà pris à la moitié de notre route dans une tempête abominable. Par Asgard, nous devons faire demi-tour avant que la mort n’emporte l’un d’entre nous.  

__ Je comprends ton désir Naelok, mais rebrousser chemin signifie longer à nouveau le Lac du Chien et se frotter aux maîtresses noires. Tiens-tu absolument à servir d’esclave pendant le reste de tes jours ?

Brangor avait toujours su inspirer la confiance à ses guerriers. Ses allures de vieux baroudeurs avaient toujours suscité le respect et insufflé une force dans l’âme de ses compagnons. Il espérait que cela marcherait à nouveau aujourd’hui. Mais Naelok, comme tous les râblés était têtu et fier, et malgré sa petite taille, il se considérait sans doute comme supérieur à ses compagnons.

Baeg intervint. Il toisa le bonhomme de toute sa taille et railla :

__  Il semblerait que les râblés n’aient pas plus de tripe qu’un Ragob en bas âge. Tu veux te dorloter tout l’hiver à Viek ? Libre à toi mais ne viens pas ensuite te donner le titre de guerrier viking.

Il avait frappé juste et l’autre cilla :

__ Je refuse juste de mourir gelé plutôt que sous les coups d’une hache pour la gloire d’Odin.

Plusieurs mercenaires acquiescèrent.

__ De plus Couma n’est qu’à quelques jours de marche…

__ Huit jours pour être précis, interrompit Brangor de sa voie calme, ce qui est autant que ce qui nous sépare de Rahaguen. Allons, range tes plaintes de fillette et trouvons un abri.   

Sans attendre que de nouvelles récriminations s’élèvent, il se remit en route et héla Bikol.

__ Connais-tu un endroit où nous pourrions nous reposer en attendant une éclaircie ? Mes hommes n’en peuvent plus et nous devons nous réchauffer…

__ Ami, il n’y a aucune cachette, aucun trou pour se terrer dans la toundra d’Orme-Froid. Celui qui se laisse surprendre par la tempête doit l’endurer jusqu’à ce qu’elle se calme, où rejoindre le Glaciateur dans son palais au delà des étoiles…

Brangor resta bouche bée. Il n’avait jamais traversé la toundra, préférant à juste titre la navigation. Il avait entendu de nombreuses histoires sur les voyages dans cette région mais ils mentionnaient toujours un abri miraculeux qui apparaissait au dernier moment…La peur le gagna.

__ Mais que pouvons nous faire ? Avons-nous d’autres choix que de trouver un abri ?

__ A la vérité, reprit le petit homme, il y a une solution. Nous sommes onze, avec quatre traîneaux et trois chevaux Milawk. La tempête ne devrait durer encore que cinq heures. Nous pouvons nous emmitoufler dans la dépouille des chevaux encore chauds…

Les guerriers frissonnèrent à cette idée macabre.

__Mais pour tenir cinq heures par ce froid, reprit Bikol, à onze, il faut l’équivalent d’un de ces chevaux pour deux. Il y a donc cinq personnes de trop…

 __ Halte-là, le coupa Brangor ! Je refuse de sacrifier le moindre de mes gens. 

 __ A ton aise, noble seigneur, nous continuerons donc notre route.

 

 

La troupe se remit en marche, emmitouflée dans tous les vêtements disponibles. L’herbe et les arbustes de la toundra avaient depuis longtemps disparu sous un épais manteau de neige et il était difficile de distinguer le relief. Bikol guidait cependant la bande avec précision, se servant de son odorat et de sa vue surdéveloppée qui lui permettait de voir au travers de la neige. 

 Pendant une heure, les mercenaires marchèrent ainsi, à la limite de l’évanouissement. Soudain, Bikol s’arrêta, scrutant les alentours. Les hommes se regroupèrent autour de lui. Le Koami sortit de son paquetage ses harpons, et se redressa.

__ Des slincks. Au moins quatre, murmura-t-il.

Les slincks étaient des créatures capables de se fondre dans le paysage. Ces quadrupèdes protégés du froid par un lourd pelage attaquaient tout ce qui passait à leur portée à l’aide de leurs longues griffes. Brangor se demanda si ses hommes seraient capables de soutenir un assaut. Il n’eut pas le temps de tirer ses conclusions. Un cri retentit à quelques mètres d’eux, prélude à l’attaque des bêtes. Les hommes réagirent aussitôt et tirèrent leurs armes en hurlant.

« ODIN ! »

Mais leurs membres engourdis les désavantageaient et en quelques secondes, Bruemond et Guojon, deux vikings de la Côte Barbare furent terrassés par les premiers monstres. En réponse, Naelok abattit sa hache et trancha l’un des membres des attaquants. Baeg et Brangor se ruèrent sur la troisième, alors que Hummond et Dégoert se plantaient devant le quatrième. 

Brangor leva sa lourde épée à deux mains, se méfiant de la rapidité légendaire des slincks. Au même moment, Baeg se rua en avant, sa hache levée. Il l’abattit sur le monstre qui sifflait et bavait. Mais celui ci fut plus rapide et un violent coup de patte l’envoya rouler un peu plus loin. Brangor en profita pour porter un coup puissant à la base de la petite tête du slinck, qui s’effondra dans une marre de sang.

Plus loin, les combats faisaient rage, et deux mercenaires gisaient, la poitrine déchirée. Les autres avaient bien du mal à contenir les assauts des derniers monstres que l’odeur du sang excitait. Naelok luttait âprement, déviant de sa hache les attaques, mais bientôt, ses muscles engourdis ne répondirent plus et le slinck, d’un revers de griffe, lui arracha son arme. Le monstre s’apprêta à porter le coup fatal.

Surgissant de nulle part, un harpon d’ivoire vint se planter dans le ventre du monstre, répandant les fluides vitaux alentours. Naelok se releva, profitant de ce répit inespéré et ficha sa lame dans le corps de la créature. Le coup était puissant mais la bête ne rendit pas pour autant son dernier souffle. Dans un sifflement strident, elle envoya Naelok rouler au loin et elle se jeta sur un des mercenaires qui ne pu éviter l’attaque et fut coupé en deux par un coup de griffe.

Un deuxième harpon vint mettre fin à ses agissements et la créature poussa un ultime cri de défi avant de s’écrouler.

 

 

Brangor réunit les siens. Sur les onze mercenaires, ils n’étaient plus que six sans compter Bikol. Baeg et Naelok étaient légèrement blessés mais vu leur situation, chaque blessure pouvait être mortelle. Hummond, le mercenaire de Caelis, était indemne, mais Dégoert, son camarade, avait une vilaine plaie à la jambe.

Bikol effectua les premiers soins sur chacun d’entre eux, au milieu des vents tourbillonnants.

__ Nous ne pouvons pas continuer ainsi !

__ Je suis de son avis. Fions-nous aux conseils de Bikol et attendons la fin de la tempête. Dégoert de toute façon ne passera pas la nuit si nous marchons le reste de la nuit.

Les hommes criaient pour couvrir le mugissement de la tempête.

Brangor réfléchit. De toute évidence, ils n’avaient désormais plus le choix.

__ Très bien. Bikol, prépare-nous un abri avec les slincks.  

__ Il y aura assez de place pour nous et les chiens mais les chevaux devront être abandonnés.

__ Fais vite.

Sortant alors un coutelas taillé dans une défense de morse, Bikol se mit à l’ouvrage, éventrant les slincks morts et les vidant méthodiquement, puis récupérant les couvertures, il en tapissa l’intérieur. Il recommença ceci quatre fois et il tua un cheval de plus pour faire un abri pour les chiens.

Les mercenaires affaiblis l’aidaient de leur mieux, en se frictionnant  mutuellement pour faire circuler le sang. Leurs manteaux en fourrure de yack étaient couverts de neige lorsque l’opération fut finie. Les hommes firent entrer les chiens dans une des caches alors qu’ils se groupaient par paire dans les corps encore chauds des monstres.

La puanteur qui se dégageait des corps était insupportable, mais les mercenaires en avait vu d’autre.

Bikol les prévint :

__ Ces abris sont sensés vous protéger pendant quelques heures du froid et du vent. Il se peut que la tempête dure plus longtemps que je  ne le pense et que nous soyons finalement réduits à l’état de glaçon. Mais vos meilleures chances restent cependant  à l’intérieur de ces créatures. Bon courage.

En grommelant, les hommes refermèrent le ventre des monstres à l’aide de lanière en cuir d’élans.

 

 

Quatre heures plus tard, le vent tombait. La toundra n’était plus qu’une immensité blanche : rien ne dépassait de l’épais manteau.

Les six grands trolls avaient depuis plusieurs kilomètres sentis l’odeur des humains. La tourmente s’étant calmée, ils accélèrent le pas en poussant des grognements sauvages, leur pelage blanc se confondant presque parfaitement avec la neige qui les environnait. Malgré leur imposante stature, ils se déplaçaient en silence, en bavant à l’idée du festin.

 

 

Bikol avait réussi à dégager sa cache de la neige. En adressant une prière silencieuse au Glaciateur, le dieu des tribus des Terres des Glaces Eternelles, il entreprit de sortir et de récupérer le matériel. Il savait que son compagnon, Baeg, était mort depuis à peu prés une heure et il se sentait soulagé de ne plus être serré contre un cadavre.

 Il tenta de venir en aide aux autres. Rapidement, il trouva le monstre dans lequel s’étaient enfermés Naelok et Brangor. Il l’ouvrit et découvrit les yeux gelés de Brangor.

En revanche, le râblé émit un grognement.

Bikol, sans joie, l’aida à sortir.

Grelottant, Naelok fit quelque pas dans la neige. Au même instant, Bikol saisit ses harpons, les sens aux aguets.

Au sommet de la colline se découpaient la silhouette des grands trolls.

Les monstres ne feraient qu’une bouchée des deux humains épuisés. Bikol se retourna vers son compagnon :

__ Court !

Sur ces mots il s’élança, abandonnant les deux derniers mercenaires prisonniers dans leur slinck. Naelok lui emboîta le pas mais ses membres engourdis ne lui permirent pas d’aller bien loin et il s’affala dans la neige.

Il se releva péniblement et saisit sa hache.

__ Puisse Odin m’accueillir au banquet du Walhalla.

Il s’apprêta à vendre chèrement sa peau.

   

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