Le Géant et la Lune (1e Partie)

Publié le par Metatron

LE GEANT ET LA LUNE

Par Guillaume "Metatron" Woerner



 

Note de l’auteur :

Ce texte est issu du Numéro 13 des Chroniques d'Aarklash. Le thème était : "Conte de Noël"
Un conte de Noël… Pas facile à placer dans un univers d’heroic fantasy où les barbares se cognent dessus à grands coups de haches et où les morts jaillissent de terre pour porter les ténèbres sur le monde. Mais Noël, c’est aussi le mémorial d’une naissance survenue il y a bien longtemps. Alors plutôt que de s’atteler à imaginer un gentil troll habillé de rouge, pourquoi ne pas prendre Noël au sens propre et relater un heureux évènement. Le « heureux » restant purement relatif aux standards d’Aarklash…

 


 

     A cette époque, le monde était jeune.
     Les peuples faisaient leurs premiers pas sous les étoiles, à la recherche d’une terre qui saurait les accueillir. Des hordes barbares parcouraient le monde, réduisant à néant les embryons de villes qu’elles croisaient sur leur chemin.
    
Afin de mener à bien leurs intrigues séculaires et d’asseoir leur domination sur les tribus, les dieux s’incarnaient volontiers et se muaient en chef de guerre, en grand prêtre, ou encore en éminence grise.
    
C’était bien avant le Rag Narok… C’était l’Age des Batailles…

  

 

 

  

Le vent tourbillonnant charriait des nuages noirs qui déversaient leur pluie glaciale sur les forêts et les plaines d’Aarklash. Le soleil n’avait pas percé de la journée et il était probable qu’on ne le voit pas avant le soir.
    
Dans la forêt qui couvrait le nord de ce qui serait plus tard la plaine d’Avagddu, les grands pins détrempés ne protégeaient plus des intempéries et de grands ruisseaux enflaient, creusant de leur flux brunâtre l’humus de ces bois.
    
Au pied d’un promontoire rocheux, une flaque de boue encerclait un corps inerte maculé de terre. Au vue du déluge qui s’abattait du ciel, il n’aurait pas fallu bien longtemps pour que la mare soit suffisamment profonde et que la créature évanouie s’y noie.
    
Mais l’être frémit et se releva péniblement sur un coude.
    
C’était un géant, un humanoïde de trois mètres de haut, tout en muscles. Ses longs cheveux roux lui retombaient en gros paquets filandreux sur la figure et s’emmêlaient avec sa barbe, d’où émergeait brindilles et épines de pins.
    
Le colosse cracha la terre qu’il avait dans la bouche et se remit debout dans un gémissement douloureux.
    
La main en visière pour se protéger des trombes d’eau, il observa avec un œil critique le sommet du promontoire duquel il était tombé. Non sans fierté, le géant constata que le haut du rocher était suffisamment éloigné pour être masqué par les intempéries. Il partit d’un grand rire en frappant son torse nu :
    
— Oh ! Oh ! Jonas reste debout même après une chute d’une telle ampleur ! Cela vaudrait bien une croix d’exploit ! 
    
Il réfléchit un instant.
    
— Mais Jonas doit se remettre en route, conclut-il d’une voix déterminée.
    
Pataugeant dans les eaux boueuses, le géant alla ramasser sa masse, constituée en tout et pour tout d’une lourde branche à laquelle était attachée une pierre grossièrement taillée. L’arme avait glissé un peu plus loin et trônait au pied d’une souche pourrie couverte de champignons. L’imposante peau d’ours qui enserrait les hanches du colosse servit pour en essuyer le manche, ce qui eut pour effet de mettre à jour toute une série de bâtons et de croix entrelacés dans un fouillis inextricable.
    
Calant l’arme sur son épaule, Jonas avisa son large coffre de bois, qui avait roulé un peu plus loin lors de sa chute.
    
L’objet avait du être finement ouvragé au moment de sa finition, mais il fallait à présent de l’imagination pour visualiser les frises écaillées et craquelées par l’humidité.
     Le géant saisi une lanière de cuire rattachée au coffre par deux anneaux de bronze et s’en servit pour arrimer le coffre sur son dos. Visiblement, la charge était considérable car même la musculature imposante ployait sous le poids du fardeau.
    
Jonas ajusta son chargement et se mit en marche vers le Nord, la masse posée sur son épaule.

*

 

Le géant n’avait pas fait cent mètres, qu’il s’arrêta net, en humant l’air.

— Qui est là, grogna-t-il en levant sa masse d’un air menaçant ?

Seul le mugissement ininterrompu du vent lui répondit. Au-dessus de lui, le ciel était noir et bien que l’après midi soit déjà bien entamée, on se serait cru à la nuit tombée.

— Qui est là, répéta Jonas ?

Il y eut un bruit de branche brisée.

Le géant brandit sa masse et asséna en rugissant un coup en aveugle dans son dos.

Mais déjà, l’assaillant était sur lui.

Lancée de tout son poids, la créature percuta le colosse en haut des cuisses et le repoussa un peu plus loin avec une force prodigieuse.

Entraîné par cet élan, le géant se rapprochait dangereusement d’un aplomb rocheux haut de plusieurs mètres. Il tenta de se raccrocher à une branche basse mais le sol détrempé eut raison de lui : il dérapa pour la deuxième fois de la journée dans un cri guttural.

Avisant le rocher vers lequel il plongeait, Jonas eut le réflexe de donner un violent coup de rein pour tomber sur le dos et amortir le choc grâce au coffre de bois, qui explosa sous l’impact.

Le souffle coupé, le colosse parvint à rugir :

— Les cadeaux de la déesse ! 

Cherchant sa masse à tâtons, il tenta de se relever.

Mais déjà, le mystérieux assaillant se jetait sur lui en le plaquant au sol.

Le géant eut juste le temps d’entr’apercevoir un jeune homme blond, torse nu et échevelé.

Puis Jonas sentit les mains sur son cou.

Comme un furieux, il rua mais l’autre se tenait derrière lui, esquivant les coups et maintenant sa prise avec une détermination sans faille.

Entravé par le coffre disloqué et la lanière de cuir, le colosse beuglait en balançant ses poings qui auraient abattus un brontops : 

— Les…cadeaux de… la déesse… Ils sont… abîmés ! 

Mais toute sa puissance n’y faisait rien et Jonas, crachant et éructant, sentait ses forces le quitter, alors qu’un voile rouge tombait doucement sur ses yeux exorbités.

L’autre, malgré sa carrure de simple humain, ne faiblissait pas.

Le géant vit poindre sa dernière heure. Il ne sentait même plus le froid ni la pluie et le vent tonitruant se transformait peu à peu en un doux murmure. Une lumière vint baigner la forêt autour de lui alors que la courbure d’une femme se dessinait dans le lointain.

— Yllia, murmura le géant… Pardon… 

Surpris de ces mots, l’assaillant desserra sa prise.

Hurlant à s’en arracher la gorge, Jonas rua avec l’énergie du désespoir et se releva d’un bon, arrachant la lanière de cuire des vestiges du coffre.

Le vent le gifla et il sentit à nouveau la pluie glaciale maculer son village violacé. Au dessus de lui, les nuées étaient toujours aussi sombres.

 

 

 *  

 

 

Le géant reprit son souffle et rugit à nouveau sa joie d’être vivant tout en dardant sur le jeune blond un regard de prédateur.

Mais l’autre ne semblait pas plus impressionné que ça. Ce n’était pourtant qu’un homme, bien bâti pour les standards de ses congénères, mais qui en aucun cas ne pouvait tenir tête à un géant déchaîné.

Un éclair zébra le ciel, illuminant la scène.

L’espace d’un instant, Jonas eut la vision d’un loup gigantesque en lieu et place du petit homme blond. Les géants n’avaient pas peur des bêtes sauvages, et surtout pas des loups, qu’ils dominaient de toute leur stature, mais la magie les terrifiait. Les tribus des Ogmanans n’en maîtrisaient pas les arcanes et leurs shamans ne pratiquaient que l’art des plantes et de la divination.

En espérant que ses mains ne tremblaient pas, Jonas s’essuya le nez et repoussa ses cheveux.

Son adversaire fixait le ciel, une lueur d’anxiété dans le regard.

Couvrant le souffle du vent, un hurlement de femme retentit.

 — Mon aimée, murmura le blond …

Il tourna le dos au géant et commença à s’enfoncer dans les bois.

— Reviens ici, lui cria le colosse ! Jonas n’en a pas fini avec toi ! 

Mais le jeune homme semblait l’avoir oublié et continuait à s’éloigner en luttant contre la bise. Jonas n’était pas fâché de ce dénouement, qui lui donnait la part belle du vainqueur devant lequel on fuit. Il ne cessait de fanfaronner :

— L’homme blond n’est qu’un fils d’ophidien ! Jonas lui est un fier guerrier de Yllia !

Le géant eut un hoquet : le garçon avait fait volte face et revenait vers lui. Ses cheveux fous volaient au vent et les ténèbres soulignaient la lueur démente de ses yeux. Il continua d’avancer jusqu’à se tenir à moins de cinq coudées du colosse.

— Qui es-tu pour te prétendre guerrier de Yllia ? 

C’était la première fois que le jeune homme s’adressait au géant. La mélodie de sa voix et le raffinement des intonations tranchaient de manière surprenante avec le personnage à moitié nu qui se tenait debout au milieu des intempéries. Le géant ramassa sa masse et frappa du poing sur son torse massif :

 — Jonas s’appelle Jonas. Vois toutes les croix d’exploits qui ornent le manche de son arme ! C’est pour cela que Jonas fait partie des plus forts de sa tribu et qu’il a été désigné pour cette mission.

Le jeune homme renifla et cria pour couvrir le vent :

— Quelle que soit ta prétendue mission, ce territoire m’appartient et personne d’autre que moi n’a le droit d’y chasser. Retourne en arrière et prends un autre chemin.

Le géant se décida pour une retraite prudente :

— Jonas ne veut pas déranger et il ignorait que ces bois t’appartenaient. Jonas accepte de te laisser tranquille.

Il résista cependant à l’envie de reculer et ne bougea pas. Les yeux plissés pour se protéger des gouttes et des épines de pin qui volaient en tout sens, il reprit au bout de quelques instants :

— Mais Jonas n’a plus de coffre pour porter ses cadeaux à la déesse. Jonas te demande de réparer le coffre de bois ou de donner un grand sac.

Pour mieux marquer son obstination, le géant croisa les bras sur sa poitrine et resta immobile.

Le jeune homme blond pencha la tête sur le côté. Son regard fou s’était fait interrogateur.

— Et à qui dois tu porter ces cadeaux, Jonas ?

— A Yllia, répondit le géant sans hésiter.

Un fracas de tonnerre accueillit ces paroles et la pluie se mit à redoubler de violence. Un nouveau hululement sinistre retentit dans la forêt. Jonas devint blême mais resta campé sur ses jambes.

Le garçon blond se retourna et sembla hésiter. Il jeta un coup d’œil au coffre défoncé que le géant avait abandonné quelques minutes plus tôt : on pouvait en voir déborder des coupes d’argent et des masques de bois sculptés, sur lesquels la boue laissait de vilaines marques brunes. Des parures féminines cousues dans les pelisses les plus fines prenaient l’eau, alors que des fruits séchés et des quartiers de viandes salés et maladroitement décorés de fleurs avaient roulé un peu plus loin.

Le jeune homme se décida finalement. Son visage dur se décontracta, ses yeux s’adoucirent et ses poings se relâchèrent dans un craquement de phalanges.

— Je m’appelle Fang, dit il de sa voix mélodieuse. Tu as visiblement fait une longue route jusqu’ici.

Jonas esquissa un sourire, ne sachant quelle conduite adopter face à ce revirement soudain. Il allait répondre mais Fang le coupa :

— Prends toutes les offrandes que tu peux et suis moi. J’ai un abri à une demi lieue d’ici. Tu me raconteras ta mission en chemin.

Sans lâcher des yeux cet hôte si inattendu, le géant entassa dans une fourrure tous les objets qu’il pouvait ramasser puis, la masse calée sur l’épaule, il emboîta le pas au jeune homme blond qui s’enfonçait déjà entre les pins.

 

 


*

 

Les yourtes du campement des Ogmanans ployaient sous les poids de l’eau de pluie. Deux d’entre elles s’étaient même effondrées au cours de la nuit, obligeant ses occupants à chercher refuge chez leurs voisins.

Et visiblement, il ne fallait pas s’attendre à une accalmie.

L’herbe de la plaine s’était transformée en un bourbier nauséabond où les géants s’enfonçaient jusqu’au cheville. Pire, les pluies avaient fait déborder de nombreuses rivières et certains ruisseaux paisibles s’étaient mués en de furieux torrents de boue au bord desquels croupissaient des carcasses d’animaux imprudents.

— Quatre lunes ! 

Cib, chef de la Tribu de l’aurochs frappait du pied pour mieux marquer ses paroles.

— Quatre lunes que le ciel nous envoie son eau sans même une éclaircie ! Les troupeaux commencent à tomber malades ! 

— Si ce n’était que les aurochs, soupira Dolf, chef de la Tribu du Loup…. 

Il était si grand que son crâne surmonté d’une pelisse de loup touchait presque le sommet de la yourte.

— Mes frères, reprit-il. La tribu du Loup, mais aussi celle du Cerf et de la Pierre levée, sont assaillies par les centaures. La verte plaine de No Dan Kar s’est transformée en un marécage où les moustiques pullulent. Les centaures ont quitté leurs terrains de chasse et cherchent un nouveau domaine.

Il y eut des murmures dans l’assemblée.

Ils étaient tous là : Laad de la Tribu du Renard, Vast de la Tribu du Mammouth, Adur le cyclope de la Tribu du Chêne… En tout, une trentaine d’Ogmanans s’étaient retrouvés au centre de la vaste étendue herbeuse que les keltois nommeraient plus tard la plaine d’Avagddu.

Les conversations cessèrent soudain et un silence respectueux salua l’arrivée de Sibaal le devin dans la salle du conseil.

C’était un vieux géant longiligne, aussi sec qu’une vieille branche de platane. Les tatouages qui couraient sur son visage fripé faisaient ressortir ses yeux d’un bleu aussi clair que les glaciers du Behemoth.

Sibaal était réputé dans toutes les tribus pour sa sagesse et sa capacité à décrypter les signes qui annonçaient l’avenir. Mais personne n’allait le consulter à la légère car il était plus mauvais qu’une teigne et avait la malédiction facile…

Le devin monta sur une estrade sur laquelle était disposée un large fauteuil couvert de fourrures épaisses ornementées de crânes d’aurochs et de cerfs. Sibaal s’y enfonça dans un craquement d’arthrite.

Cib avança d’un pas en ajustant sa coiffe faite de cornes entrelacées.

— Vénérable, commença-t-il. Nous tous, chefs des tribus des Ogmanans, sollicitons ta sagesse pour éviter le pire. Comme tu ne peux l’ignorer, la pluie et le vent balaient les plaines depuis de longues semaines. Les bêtes tombent malades et meurent, des épidémies surgissent un peu partout dans nos tribus… 

— Je sais tout ça, le coupa Sibaal avec un geste énervé. Je sais que No Dan Kar ne sera plus une terre accueillante maintenant que les centaures l’ont quittée. Je sais aussi que les ophidiens se multiplient dans les nouvelles mares comme des mouches sur un cadavre. Alors que me voulez-vous, chefs des Ogmanans ? 

— Pourquoi les éléments nous harcèlent-ils ainsi ? Sommes-nous maudits, s’écria Lothar, doyen de la tribu du cerf ?

Sibaal ricana :

— Croyez vous que quelqu’un se soucie suffisamment de vos tribus pour vous maudire d’une manière ou d’une autre ? 

Les chefs de tribus se turent à nouveau tandis que le devin se renfonçait dans son fauteuil.

— La vérité est tout autre, continua Sibaal. Les oracles m’ont parlé il y a peu. 

Un frisson d’espoir parcourut l’assemblée et les géants s’approchèrent pour mieux entendre.

— Yllia, la juvénile déesse de la lune, est fortement contrariée. Sa colère l’aveugle et elle déchaîne sur le monde toutes les foudres du ciel. 

Yllia était toujours représentée comme une jeune fille, à peine sortie de l’adolescence, et ses caprices agrémentaient souvent les légendes racontées par les anciens.

— Mais que pouvons-nous faire, s’exclama Dolf ? 

Sibaal soupira, comme impatienté par ces questions.

— Notre déesse de la lune est très sensible aux fanfreluches et aux babioles. Envoyez quelques guerriers lui présenter des offrandes du plus bel argent. Cela pourrait calmer sa colère.

— Où se trouve-t-elle,  demanda Cib, alors que tous les chefs commençaient à proposer les noms des meilleurs éléments de leurs tribus ?

 Le devin partit d’un grand rire :

— C’est là que les choses se compliquent : les corbeaux sont assez diserts sur l’arrivée d’un être exceptionnel dans la forêt de Diisha. Il est plus que probable qu’il s’agisse de la déesse. Mais où se trouve-t-elle précisément ? Je n’ai pas de réponse à vous donner. 

Adur le cyclope darda son œil unique sur ses camarades :

— Par Danu, quel guerrier aura l’honneur d’accomplir cette quête ? 

Dolf prit la parole :

— Mes frères, la tribu du loup campe aux abords de la forêt de Diisha. Mes guerriers y mènent régulièrement des battues pour y chasser le gibier. Tous en connaissent les sous-bois… Je soumets donc au vote le choix de Saber aux cent exploits. C’est le meilleur ambacte de ma tribu et probablement de toute la plaine. 

— Mais, protesta Adur en levant son sourcil… Saber ne voudra pas partir sans son frère, et tout le monde sait que Jonas est…

 — …Fort comme trois de tes cyclopes,  termina Sibaal. Saber et Jonas formeront un duo de premier choix.

Le devin toisait l’assemblée, comme s’il mettait quiconque au défi de contester son jugement. Les chefs s’entre regardèrent puis levèrent la main, les uns après les autres.

Sibaal eut un petit sourire satisfait :

— Dolf, je te laisse organiser le départ de tes deux champions.

 Suite et fin dans la deuxieme partie

Publié dans Chroniques d'Aarklash

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